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Poeme D'amour : Joies Sans Causes

poeme d'amour,

 

Poeme D'amour

Joies sans causes.

On connaît toujours trop les causes de sa peine,
Mais on cherche parfois celles de son plaisir ;
Je m'éveille parfois l'âme toute sereine,
Sous un charme étranger que je ne peux saisir.

Un ciel rose envahit mon être et ma demeure,
J'aime tout l'univers, et, sans savoir pourquoi,
Je rayonne. Cela ne dure pas une heure,
Et je sens refluer les ténèbres en moi.

D'où viennent ces lueurs de joie instantanées,
Ces paradis ouverts qu'on ne fait qu'entrevoir,
Ces étoiles sans noms dans la nuit des années,
Qui filent en laissant le fond du cœur plus noir ?

Est-ce un avril ancien dont l'azur se rallume,
Printemps qui renaîtrait de la cendre des jours
Comme un feu mort jetant une clarté posthume ?
Est-ce un présage heureux des futures amours ?

Non. Ce mystérieux et rapide sillage
N'a rien du souvenir ni du pressentiment ;
C'est peut-être un bonheur égaré qui voyage
Et, se trompant de cœur, ne nous luit qu'un moment.

Poeme D'amour

Jours lointains.

Nous recevions sa visite assidue ;
J'étais enfant. Jours lointains ! Depuis lors
La porte est close et la maison vendue :
Les foyers vendus sont des morts.

Quand j'entendais son pas de demoiselle,
Adieu mes jeux ! Courant sur son chemin,
J'allais, les yeux levés tout grands vers elle,
Glisser ma tête sous sa main.

Et quelle joie inquiète et profonde
Si je sentais une caresse au front !
Cette main-là, pas de lèvres au monde
En douceur ne l'égaleront.

Je me souviens de mes tendresses vagues,
Des aveux fous que je jurais d'oser,
Lorsque, tout bas, rien qu'aux chatons des bagues
Je risquais un fuyant baiser.

Elle a passé, bouclant ma chevelure,
Prenant ma vie ; et, comme inoccupés,
Ses doigts m'ont fait une étrange brûlure,
Par l'âge de mon cœur trompés.

Comme l'aurore étonne la prunelle,
L'éveille à peine, et c'est déjà le jour :
Ainsi la grâce au cœur naissant nouvelle
L'émeut, et c'est déjà l'amour.

Poeme D'amour

Juin.

Sonnet.


Pendant avril et mai, qui sont les plus doux mois,
Les couples, enchantés par l'éther frais et rose,
Ont ressenti l'amour comme une apothéose ;
Ils cherchent maintenant l'ombre et la paix des bois.

Ils rêvent, étendus sans mouvement, sans voix ;
Les cœurs désaltérés font ensemble une pause,
Se rappelant l'aveu dont un lilas fut cause
Et le bonheur tremblant qu'on ne sent pas deux fois.

Lors le soleil riait sous une fine écharpe,
Et, comme un papillon dans les fils d'une harpe,
Dans ses rayons encore un peu de neige errait.

Mais aujourd'hui ses feux tombent déjà torrides,
Un orageux silence emplit le ciel sans rides,
Et l'amour exaucé couve un premier regret.

La beauté.

Splendeur excessive, implacable,
Ô beauté, que tu me fais mal !
Ton essence incommunicable,
Au lieu de m'assouvir, m'accable :
On n'absorbe pas l'idéal.

L'éternel féminin m'attire,
Mais je ne sais comment l'aimer.
Beauté, te voir n'est qu'un martyre,
Te désirer n'est qu'un délire,
Tu n'offres que pour affamer !

Je porte envie au statuaire
Qui t'admire sans âcre amour,
Comme sur le lit mortuaire
Un corps de vierge, où le suaire
Sanctifie un parfait contour.

Il voit, comme de blanches ailes
S'abattant sur un colombier,
Les formes des vivants modèles,
À l'appel du ciseau fidèles,
Couvrir le marbre familier ;

Il les choisit, il les assemble,
Tel qu'un lutteur, toujours debout,
Et quand l'ébauche te ressemble,
D'aucun désir sa main ne tremble,
Car il est ton prêtre avant tout.

Calme, la prunelle épurée
Au soleil austère de l'art,
Dans la pierre transfigurée
Il juge l'œuvre et sa durée,
D'un incorruptible regard ;

Mais, quand malgré soi l'on regarde
Une femme en ce spectre blanc,
À lui parler l'on se hasarde,
Et bientôt, sans y prendre garde,
Dans la pierre on coule du sang !

On appuie, en rêve, sur elle
Les lèvres pour les apaiser,
Mais, amante surnaturelle,
Tu dédaignes cet amant frêle,
Tu ne lui rends pas son baiser.

Et vainement, pour fuir ta face,
On veut faire en ses yeux la nuit :
Les yeux t'aiment et, quoi qu'on fasse,
Nulle obscurité n'en efface
L'éblouissement qui les suit.

En vain le cœur frustré s'attache
À des visages plus cléments :
Comme une lumineuse tache,
Ta vive image les lui cache,
Dressée entre les deux amants.

Tu règnes sur qui t'a comprise,
Seule et hors de comparaison ;
Pour l'âme de ton joug éprise
Tout autre amour n'est que méprise
Qui dégénère en trahison.

Celles qu'on aime, on les désole,
Car, mentant même à leurs genoux,
Sans le vouloir on les immole
À toi, la souveraine idole
Invisible à leurs yeux jaloux.

Seul il sent, l'homme qui te crée,
Tes maléfices s'amortir ;
Sa compagne au foyer t'agrée
Comme une étrangère sacrée
Qui ne l'en fera point sortir.

L'artiste impose pour hôtesse,
Dans son cœur comme dans ses yeux,
L'humble mortelle à la déesse,
Vouant à l'une sa tendresse,
À l'autre un culte glorieux !

Jamais ton éclat ne l'embrase :
T'enveloppant, pour te saisir,
D'une rigide et froide gaze,
Il n'a de l'amour que l'extase,
Amoureux sauvé du désir !

Poeme D'amour

L'habitude.

L'habitude est une étrangère
Qui supplante en nous la raison :
C'est une ancienne ménagère
Qui s'installe dans la maison.

Elle est discrète, humble, fidèle,
Familière avec tous les coins ;
On ne s'occupe jamais d'elle,
Car elle a d'invisibles soins :

Elle conduit les pieds de l'homme,
Sait le chemin qu'il eût choisi,
Connaît son but sans qu'il le nomme,
Et lui dit tout bas : « Par ici. »

Travaillant pour nous en silence,
D'un geste sûr, toujours pareil,
Elle a l'œil de la vigilance,
Les lèvres douces du sommeil.

Mais imprudent qui s'abandonne
À son joug une fois porté !
Cette vieille au pas monotone
Endort la jeune liberté ;

Et tous ceux que sa force obscure
A gagnés insensiblement
Sont des hommes par la figure,
Des choses par le mouvement.

Poeme D'amour

La bouture.

Au temps où les plaines sont vertes,
Où le ciel dore les chemins,
Où la grâce des fleurs ouvertes
Tente les lèvres et les mains,

Au mois de mai, sur sa fenêtre,
Un jeune homme avait un rosier ;
Il y laissait les roses naître
Sans les voir ni s'en soucier ;

Et les femmes qui d'aventure
Passaient près du bel arbrisseau,
En se jouant, pour leur ceinture
Pillaient les fleurs du jouvenceau.

Sous leurs doigts, d'un précoce automne
Mourait l'arbuste dévasté ;
Il perdit toute sa couronne,
Et la fenêtre sa gaîté ;

Si bien qu'un jour, de porte en porte,
Le jeune homme frappa, criant :
« Qu'une de vous me la rapporte,
La fleur qu'elle a prise en riant ! »

Mais les portes demeuraient closes.
Une à la fin pourtant s'ouvrit :
« Ah ! Viens, dit en montrant des roses
Une vierge qui lui sourit ;

Je n'ai rien pris pour ma parure ;
Mais sauvant le dernier rameau,
Vois ! J'en ai fait cette bouture,
Pour te le rendre un jour plus beau. »

René-François Sully Prudhomme (1839-1907).

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