La valse.
Dans un flot de gaze et de soie,
Couples pâles, silencieux,
Ils tournent, et le parquet ploie,
Et vers le lustre qui flamboie
S'égarent demi-clos leurs yeux.
Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.
La valse molle cache en elle
Un languissant aveu d'amour.
L'âme y glisse en levant son aile :
C'est comme une fuite éternelle,
C'est comme un éternel retour.
Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.
Le jeune homme sent sa jeunesse,
Et la vierge dit : « Si j'aimais ? »
Et leurs lèvres se font sans cesse
La douce et fuyante promesse
D'un baiser qui ne vient jamais.
Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.
L'orchestre est las, les valses meurent,
Les flambeaux pâles ont décru,
Les miroirs se troublent et pleurent.
Les ténèbres seules demeurent,
Tous les couples ont disparu.
Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.
Couples pâles, silencieux,
Ils tournent, et le parquet ploie,
Et vers le lustre qui flamboie
S'égarent demi-clos leurs yeux.
Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.
La valse molle cache en elle
Un languissant aveu d'amour.
L'âme y glisse en levant son aile :
C'est comme une fuite éternelle,
C'est comme un éternel retour.
Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.
Le jeune homme sent sa jeunesse,
Et la vierge dit : « Si j'aimais ? »
Et leurs lèvres se font sans cesse
La douce et fuyante promesse
D'un baiser qui ne vient jamais.
Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.
L'orchestre est las, les valses meurent,
Les flambeaux pâles ont décru,
Les miroirs se troublent et pleurent.
Les ténèbres seules demeurent,
Tous les couples ont disparu.
Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.
Beau Poeme D'amour
La vertu.
Que raillent tant de gens d'esprit,
La vertu ; j'y crois, et dédaigne
De sourire quand on en rit.
Ah ! Souvent l'homme qui se moque
Est celui que point l'aiguillon,
Et tout bas l'incrédule invoque
L'objet de sa dérision.
Je suis trop fier pour me contraindre
À la grimace des railleurs,
Et pas assez heureux pour plaindre
Ceux qui rêvent d'être meilleurs.
Je sens que toujours m'importune
Une loi que rien n'ébranla ;
Le monde (car il en faut une)
Parodie en vain celle-là ;
Qu'il observe la règle inscrite
Dans les mœurs ou les parchemins,
Je hais sa rapine hypocrite,
Comme celle des grands chemins.
Je hais son droit, aveugle aux larmes,
Son honneur qui lave un affront
En mesurant bien les deux armes,
Non les deux bras qui les tiendront,
Sa politesse meurtrière
Qui vous trahit en vous servant,
Et, pour vous frapper par derrière,
Vous invite à passer devant.
Qu'un plaisant nargue la morale,
Qu'un fourbe la plie à son vœu,
Qu'un géomètre la ravale
À n'être que prudence au jeu,
Qu'un dogme leurre à sa manière
L'égoïsme du genre humain,
Ajournant à l'heure dernière
L'avide embrassement du gain.
Qu'un cynisme, agréable au crime,
Devant le muet infini,
Voue au néant ceux qu'on opprime,
Avec l'oppresseur impuni !
Toujours en nous parle sans phrase
Un devin du juste et du beau,
C'est le cœur, et dès qu'il s'embrase
Il devient de foyer flambeau :
Il n'est plus alors de problème,
D'arguments subtils à trouver.
On palpe avec la torche même
Ce que les mots n'ont pu prouver.
Quand un homme insulte une femme,
Quand un père bat ses enfants,
La raison neutre assiste au drame,
Mais le cœur crie au bras : défends !
Aux lueurs du cerveau s'ajoute
L'éclair jailli du sein : l'amour !
Devant qui s'efface le doute
Comme un rôdeur louche au grand jour :
Alors la loi, la loi sans table,
Conforme à nos réelles fins,
S'impose égale et charitable,
On forme des souhaits divins :
On voudrait être un Marc-Aurèle,
Accomplir le bien pour le bien,
Pratiquer la vertu pour elle,
Sans jamais lui demander rien,
Hors la seule paix qui demeure
Et dont l'avènement soit sûr,
L'apothéose intérieure
Dont la conscience est l'azur !
Mais pourquoi, saluant ta tâche,
Inerte amant de la vertu,
Ô lâche, lâche, triple lâche,
Ce que tu veux, ne le fais-tu ?
Beau Poeme D'amour
La vie de loin.
Ceux qui ne sont pas nés, les peuples de demain,
Entendent vaguement, comme de sourds murmures,
Les grands coups de marteaux et les grands chocs d'armures
Et tous les battements des pieds sur le chemin.
Ce tumulte leur semble un immense festin,
Dans un doux bruit de flots, sous de folles ramures ;
Et déjà, tressaillant au sein des vierges mûres,
Tous réclament la vie et le bonheur certain.
Il n'est donc pas un mort qui, de retour dans l'ombre
Leur dise que cet hymne est fait de cris sans nombre
Et qu'ils dorment en paix sur un enfer béant,
Afin que ces heureux qui n'ont ni pleurs ni rire
Écoutent sans envie, autour de leur néant,
Le tourbillon maudit des atomes bruire ?
Beau Poeme D'amour
La vieillesse.
Où mon sang coulera plus sage dans mes veines,
Où, les plaisirs pour moi n'ayant plus de saveur,
Je vivrai doucement avec mes vieilles peines.
Quand l'amour, désormais affranchi du baiser,
Ne me brûlera plus de sa fièvre mauvaise
Et n'aura plus en moi d'avenir à briser,
Que je m'en donnerai de tendresse à mon aise !
Bienheureux les enfants venus sur mon chemin !
Je saurai transporter dans les buissons l'école ;
Heureux les jeunes gens dont je prendrai la main !
S'ils aiment, je saurai comment on les console.
Et je ne dirai pas : « C'était mieux de mon temps. »
Car le mieux d'autrefois c'était notre jeunesse ;
Mais je m'approcherai des âmes de vingt ans
Pour qu'un peu de chaleur en mon âme renaisse ;
Pour vieillir sans déchoir, ne jamais oublier
Ce que j'aurai senti dans l'âge où le cœur vibre,
Le beau, l'honneur, le droit qui ne sait pas plier,
Et jusques au tombeau penser en homme libre.
Et vous, oh ! Quel poignard de ma poitrine ôté,
Femmes, quand du désir il n'y sera plus traces,
Et qu'alors je pourrai ne voir dans la beauté
Que le dépôt en vous du moule pur des races !
Puissé-je ainsi m'asseoir au faîte de mes jours
Et contempler la vie, exempt enfin d'épreuves,
Comme du haut des monts on voit les grands détours
Et les plis tourmentés des routes et des fleuves !
Beau Poeme D'amour
La voie lactée.
« Vous ne paraissez pas heureuses ;
Vos lueurs, dans l'infini noir,
Ont des tendresses douloureuses ;
« Et je crois voir au firmament
Un deuil blanc mené par des vierges
Qui portent d'innombrables cierges
Et se suivent languissamment.
« Êtes-vous toujours en prière ?
Êtes-vous des astres blessés ?
Car ce sont des pleurs de lumière,
Non des rayons, que vous versez.
« Vous, les étoiles, les aïeules
Des créatures et des dieux,
Vous avez des pleurs dans les yeux... »
Elles m'ont dit : « Nous sommes seules...
« Chacune de nous est très loin
Des sœurs dont tu la crois voisine ;
Sa clarté caressante et fine
Dans sa patrie est sans témoin ;
« Et l'intime ardeur de ses flammes
Expire aux cieux indifférents. »
Je leur ai dit : « Je vous comprends !
Car vous ressemblez à des âmes :
« Ainsi que vous, chacune luit
Loin des sœurs qui semblent près d'elle,
Et la solitaire immortelle
Brûle en silence dans la nuit. »
Beau Poeme D'amour
La volupté.
Deux êtres asservis par le désir vainqueur
Le sont jusqu'à la mort : la volupté les lie.
Parfois, lasse un moment, la geôlière s'oublie,
Et leur chaîne les serre avec moins de rigueur.
Aussitôt, se dressant tout chargés de langueur,
Ces pâles malheureux sentent leur infamie ;
Chacun secoue alors cette chaîne ennemie,
Pour la briser lui-même ou s'arracher le cœur.
Ils vont rompre l'acier du nœud qui les torture,
Mais elle, au bruit d'anneaux qu'éveille la rupture,
Entr'ouvre ses longs yeux où nage un deuil puissant,
Elle a fait de ses bras leur tombe ardente et molle :
En silence attiré, le couple y redescend,
Et l'éphémère essaim des repentirs s'envole...