Envoi.
Sonnet.
Faites-vous de ces vers un intime entretien,
Pardonnez-moi tous ceux où, pour la renommée,
J'ai pu chanter l'amour sans vous avoir nommée,
Où j'ai mis plus du cœur des autres que du mien.
Mais à d'autres que vous ceux-ci ne diraient rien :
La tendresse n'est là que pour vous exprimée ;
À peine y verrait-on qu'une femme est aimée,
Car je ne le dis pas ; et vous le sentez bien.
La nuit, quand vous pleurez, la veilleuse d'albâtre
Mêle une lueur douce au feu mourant de l'âtre,
Et ne luit que dans l'ombre, et dès le jour pâlit.
Pareils à la veilleuse et doux comme sa flamme,
Ces vers, faits seulement pour la nuit de votre âme,
Aussitôt pâliront si le monde les lit.
Faites-vous de ces vers un intime entretien,
Pardonnez-moi tous ceux où, pour la renommée,
J'ai pu chanter l'amour sans vous avoir nommée,
Où j'ai mis plus du cœur des autres que du mien.
Mais à d'autres que vous ceux-ci ne diraient rien :
La tendresse n'est là que pour vous exprimée ;
À peine y verrait-on qu'une femme est aimée,
Car je ne le dis pas ; et vous le sentez bien.
La nuit, quand vous pleurez, la veilleuse d'albâtre
Mêle une lueur douce au feu mourant de l'âtre,
Et ne luit que dans l'ombre, et dès le jour pâlit.
Pareils à la veilleuse et doux comme sa flamme,
Ces vers, faits seulement pour la nuit de votre âme,
Aussitôt pâliront si le monde les lit.
En voyage.
Je partais pour un long voyage.En wagon, tapi dans mon coin,
J'écoutais fuir l'aigu sillage
Du sifflet dans la nuit, au loin ;
Je goûtais la vague indolence,
L'état obscur et somnolent,
Où fait tomber sans qu'on y pense
Le train qui bourdonne en roulant ;
Et je ne m'apercevais guère,
Indifférent de bonne foi,
Qu'une jeune fille et sa mère
Faisaient route à côté de moi.
Elles se parlaient à voix basse :
C'était comme un bruit de frisson,
Le bruit qu'on entend quand on passe
Près d'un nid le long d'un buisson ;
Et bientôt elles se blottirent,
Leurs fronts l'un vers l'autre penchés,
Comme deux gouttes d'eau s'attirent
Dès que les bords se sont touchés ;
Puis, joue à joue, avec tendresse,
Elles se firent toutes deux
Un oreiller de leur caresse,
Sous la lampe aux rayons laiteux.
L'enfant, sur le bras de ma stalle,
Avait laissé poser sa main
Qui reflétait, comme une opale,
La moiteur d'un jour incertain ;
Une main de seize ans à peine :
La manchette l'ombrait un peu ;
L'azur, d'une petite veine,
La nuançait comme un fil bleu ;
Elle pendait, molle et dormante,
Et je ne sais si mon regard
Pressentit qu'elle était charmante
Ou la rencontra par hasard,
Mais je m'étais tourné vers elle,
Sollicité sans le savoir :
On dirait que la grâce appelle
Avant même qu'on l'ait pu voir.
« Heureux, me dis-je, le touriste
Que cette main-là guiderait ! »
Et ce songe me rendait triste :
Un vœu n'éclôt que d'un regret.
Cependant glissaient les campagnes
Sous les fougueux rouleaux de fer,
Et le profil noir des montagnes
Ondulait ainsi qu'une mer.
Force étrange de la rencontre !
Le cœur le moins prime-sautier,
D'un lambeau d'azur qui se montre,
Improvise un ciel tout entier :
Une enfant dort, une étrangère,
Dont la main paraît à demi,
Et ce peu d'elle me suggère
Un vœu d'un bonheur infini !
Je la rêve, inconnue encore,
Sur ce peu de réalité,
Belle de tout ce que j'ignore
Et du possible illimité...
Je rêve qu'une main si blanche,
D'un si confiant abandon,
Ne peut-être que sûre et franche,
Et se donnerait tout de bon.
Bienheureux l'homme qu'au passage
Cette main fine enchaînerait !
Calme à jamais, à jamais sage...
— Vitry ! Cinq minutes d'arrêt !
À ces mots criés sur la voie,
Le couple d'anges s'éveilla,
Battit des ailes avec joie,
Et disparut. Je restai là.
Cette enfant, qu'un autre eût suivie,
Je me la laissais enlever.
Un voyage ! Telle est la vie
Pour ceux qui n'osent que rêver.
Éther.
Sonnet.Quand on est sur la terre étendu sans bouger,
Le ciel paraît plus haut, sa splendeur plus sereine ;
On aime à voir, au gré d'une insensible haleine,
Dans l'air sublime fuir un nuage léger ;
Il est tout ce qu'on veut : la neige d'un verger,
Un archange qui plane, une écharpe qui traîne,
Ou le lait bouillonnant d'une coupe trop pleine ;
On le voit différent sans l'avoir vu changer.
Puis un vague lambeau lentement s'en détache,
S'efface, puis un autre, et l'azur luit sans tache,
Plus vif, comme l'acier qu'un souffle avait terni.
Tel change incessamment mon être avec mon âge ;
Je ne suis qu'un soupir animant un nuage,
Et je vais disparaître, épars dans l'infini.
Évolution.
Quand je me hasarde à descendreJusques aux bas-fonds du désir,
À l'heure où l'on pèse la cendre
Que laisse après soi le plaisir ;
Ou quand je sonde l'origine
De ces hymens vils et fortuits
Qu'en songe la chair imagine,
Ressouvenir d'antiques nuits...
Je crois que dans une autre sphère,
Où je me sentais déjà mal,
J'aimais, ne pouvant pas mieux faire,
Avec des instincts d'animal.
Là je rêvais déjà sans doute
L'amante qu'amant orgueilleux
À la brute qui me dégoûte
Je préfère en espérant mieux,
Et je suis traité d'infidèle
Par la plus belle d'ici-bas,
Parce que j'aime son modèle
Où mes lèvres n'atteignent pas.
Ainsi, de la poussière immonde
À l'éther qu'on n'étreint jamais,
Mon idéal de monde en monde
Me devance au monde où je vais.
Fatalité.
Sonnet.Que n'ai-je appris l'amour sous un regard moins beau !
Je n'aurais pas traîné si longtemps sur la terre
Cet âpre souvenir, le seul que rien n'altère,
Et qui, le plus lointain, me soit toujours nouveau.
Hélas ! je ne peux pas souffler comme un flambeau
L'œil bleu, pâle qui luit dans mon cœur solitaire ;
On ne se remplit pas d'une nuit volontaire,
Pas même en se voilant des ombres du tombeau.
Que n'ai-je, comme eux tous, aimé d'abord la grâce,
Non la grande beauté qui fait mal, qui dépasse
L'horizon du désir et la force du cœur !
J'eusse aimé librement selon ma fantaisie ;
Mais l'amante que j'ai, je ne l'ai pas choisie,
Je ne pourrais pas plus la changer que ma sœur.
Fin du rêve.
Sonnet.Le rêve, serpent traître éclos dans le duvet,
Roule autour de mes bras une flatteuse entrave,
Sur mes lèvres distille un philtre dans sa bave,
Et m'amuse aux couleurs changeantes qu'il revêt.
Depuis qu'il est sorti de dessous mon chevet,
Mon sang glisse figé comme une tiède lave,
Ses nœuds me font captif et ses regards esclave,
Et je vis comme si quelque autre en moi vivait.
Mais bientôt j'ai connu le mal de sa caresse ;
Vainement je me tords sous son poids qui m'oppresse,
Je retombe et ne peux me défaire de lui.
Sa dent cherche mon cœur, le retourne et le ronge ;
Et, tout embarrassé dans des lambeaux de songe,
Je meurs. — Ô monstre lourd ! qui donc es-tu ? — L'Ennui.